Nous sommes Pauline, designer textile, et Hugo, designer produit. Lorsque nous avons eu connaissance du thème de cette nouvelle édition, nous avons aussitôt été enjoués, et dès lors des idées ont commencé à émerger. En effet, les matériaux sont presque toujours le point de départ de nos projets, et l’optique de travailler la laine, de découvrir ses caractéristiques, ses potentiels, de mettre en avant sa richesse esthétique et ses qualités techniques nous a tout de suite enthousiasmé. Nous voyons dans ce projet une belle opportunité de pouvoir explorer la laine sous toutes ses formes, de penser de nouvelles façons de la travailler, de la mettre en forme ou encore de la valoriser.
Nous avons tous les deux étudié à l’École Boulle en BTS Design de Produits (2011-2013), puis à l’ENSCI-Les ateliers (Pauline en Design Textile, diplomée en juin 2017 ; Hugo en Création Industrielle, diplômé en décembre 2017). Bien que nous n’ayons à ce jour pas encore eu l’occasion de travailler ensemble sur un projet conséquent, cela fait plusieurs années que nous nous entraidons sur nos projets respectifs. Ainsi, si nous possédons tous les deux une façon de penser, de rechercher ou de maquetter singulière, nos deux visions s’entrecroisent souvent au sein de chacun de nos projets. Cette façon de travailler nous a permis d’évoluer conjointement et de développer une vision et des affinités communes. Nous envisageons chaque projet comme une opportunité d’acquérir de nouveaux outils, et de rencontrer, travailler, partager, échanger avec d’autres corps de métiers. Nos connaissances à la fois en design d’objet et en design textile nous engagent à nous positionner au confluent de ces deux disciplines, en essayant toujours de considérer un projet dans sa globalité. Ainsi, si nous prenons plaisir à travailler la matière, nous questionnons en parallèle les usages, les modes de fabrication et les circuits de production. Ils nous parait important que toutes les facettes d’un projet soient questionnées et réfléchies.
D’autre part, nous avons tous les deux eu la chance de rencontrer à plusieurs reprises des artisans, et de travailler avec certains d’entre eux. Nous avons également appréhendé lors de nos études les techniques de productions industrielles, notamment à l’occasion de partenariats avec des entreprises telles que Saint-Gobain et Huawei. Ces expériences multiples nous permettent de croiser des techniques variées au sein de nos projets, allant du prototypage rapide à des procédés plus industriels, tout en faisant appel à des savoir-faire artisanaux. Fascinée par les procédés de fabrication et de transformation de la matière, Pauline en a d’ailleurs fait son sujet de mémoire : Machinopolis, épopée de l’outil, consultable en ligne -> https://issuu.com/paulinebailay/docs/machinopolis_pauline_bailay
Particulièrement sensibles aux grands principes de la décroissance (Relocaliser, Revaloriser, Réevaluer, Recycler, Réutiliser, Réduire, Restructurer, Redistribuer), et persuadés qu’en cette période charnière, le designer a un rôle important à jouer, nous souhaitons mettre nos connaissances en pratique au service de projets respectueux de l’humain et de la nature, durables et équitables. C’est pourquoi la possibilité offerte par cette résidence de développer un projet à une échelle locale, de pouvoir travailler et dialoguer avec des artisans, ainsi que l’opportunité de proposer un atelier pour partager avec des étudiants des techniques et des découvertes nous motivent plus que tout.
1. Naturale - Donner corps à la laine brute
Pendant nos séjours respectifs au Japon, nous avons eu la chance de découvrir certains savoir-faire traditionnels. Parmi ceux-ci, la fabrication des balais et des brosses de la préfecture de Wakayama, qui utilise la fibre d’écorce d’une variété locale de palmier comme matière première, nous a particulièrement marqué. Cet artisanat repose sur différentes techniques de liaison, de la plus simple à la plus complexe, permettant de rassembler et structurer les fibres d’écorce entre-elles, afin de créer des objets de grande qualité. Un mélange de simplicité et de grande finesse.
Ce travail sur le nœud, le cerclage, le fagot nous semble particulièrement intéressant à investir avec la laine brute. En effet, nous avons l’intuition que cette laine brute, qui peut, au premier abord, sembler peu exploitable si elle n’est pas transformée, possède de vraies qualités tactiles, esthétiques mais aussi technique (absorption, résistance à la tension, élasticité, capillarité, légèreté, flexibilité...). C’est pourquoi notre envie est de travailler sur la liaison, afin de mettre en forme, structurer, rigidifier, articuler, ou au contraire laisser ponctuellement libre cette matière organique. Donner corps à la laine brute tout en gardant ses qualités intrinsèques.
Nous envisageons évidemment cette exploration autour de la liaison en parallèle d’un travail sur la laine brute elle-même : brosser, peigner, teindre, rouler, nouer, compresser, tresser... Notre envie est de conserver la laine en «mèche», et proposer une nouvelle façon de la travailler. Trouver des solutions pour organiser et transformer cette matière brute sans pour autant perdre de sa chaleur. Ainsi, cette exploration autour de la liaison nous semble propice pour expérimenter la création d’objets à différentes échelles: de la petite échelle (bijoux, accessoires, outils de dessins/peinture...) jusqu’à l’échelle architecturale (tapis, plaid, tenture, cloisons souples...).
2. Filà - La laine dans l’univers domestique
La laine filée nous a instantanément évoqué les techniques du tissage et de la maille. Ces techniques permettent de fabriquer de grandes pièces de textile et impliquent aussi un travail de graphisme, de motif et de textures. En parallèle il nous a paru pertinent de nous intéresser aux propriétés thermorégulatrices et absorbantes de la laine. Dans une maison, une grande surface d’un tissu en laine peu permettre de réguler l’humidité d’une pièce, d’isoler phoniquement ou encore d’assainir l’atmosphère d’un lieu. Partant de ce constat il nous nous souhaiterions mettre en valeur ces propriétés en travaillant la laine corse filée à grande échelle afin de proposer des objets pour l’univers domestique (rideaux, paravents, tapis, tenture murale, sol, parrois souples).
3. Cunfruntà - Hybrider la laine Corse
Contrairement à la première piste de recherche où nous proposons un travail sur l’assemblage et la liaison (donc une confrontation mécanique de la laine avec un autre matériau), il nous paraît ici intéressant de se pencher sur une transformation plus en profondeur de la laine, afin d’en modifier les propriétés. Ainsi, au delà d’une réflexion sur l’assemblage superficiel de la laine avec un autre matériau, nous aimerions creuser l’idée de «fusion». C’est-à-dire explorer divers procédés qui permettent à la laine et au matériau auquel elle est confrontée de devenir complémentaires et s’augmenter, afin d’obtenir un bi-matériau dotée de caractéristiques techniques nouvelles (dans l’esprit des matériaux composites formés d’une matrice et d’un renfort). Une exploration autour de l’hybridation de la laine (et ses qualités d’absorption phonique, thermique, de régulation d’humidité...) avec d’autres matériaux aux propriétés complémentaires. Nous souhaiterions donc défricher les possibilités offertes par la laine (sous différentes formes) et la manière dont elle pourrait interagir avec d’autres matériaux, en expérimentant avec les process accessibles dans la résidence. Nous considérons avant tout cette piste comme une recherche matériau autour de l’hybridation des propriétés de la laine corse. Une recherche qui, si elle aboutit à des matériaux concluants, pourrait permettre de penser des objets innovants, tant au niveau de leurs propriétés (physique, chimique) que de leur esthétique.
4. innuvà - Tisser des liens entre les acteurs locaux pour mettre en place une production locale et raisonnée
Les procédés de transformation de la laine sont nombreux, si bien que ce matériau peut donner naissance à des objets issus d’artisanats locaux, autant qu’à des biens de grande consommation fabriqués par l’industrie. Ainsi, la laine corse ne met pas en jeu une seule chaîne de production, mais de multiples filières de mise en forme jalonnées d’étapes plus ou moins complexes, et engage beaucoup d’acteurs et de savoir-faire différents. La laine peut aussi, évidemment, être confrontée/hybridée à d’autres matériaux. En conséquence, un nombre considérable de procédés de fabrication et de savoir-faire gravitent autour de la laine corse. C’est cette diversité des savoir-faire locaux qui nous semble important. La multiplicité des moyens de production présents en Corse (qu’il s’agisse d’artisanats, de petites et moyennes industries, de nouveaux outils de fabrication avec les fablabs...) nous donne envie de croiser les techniques et les savoir-faire au service d’une production locale. En effet, au regard des réflexions développées sur les trois premières pistes, envisager un projet global, de la récolte de la matière première en passant par sa/ses transformation(s) par des acteurs locaux jusqu’à son recyclage nous paraît pertinent. Cela permettrait une innovation tant sociale qu’économique, pour participer au rayonnement de la région. Envisager un projet global à partir de la laine corse, engageant différents acteurs locaux, en pensant l’intégralité du cycle de vie du produit, au service du rayonnement de la région et de ses savoir-faire.