En examinant de près les détails qui composent les horizons internes d'un paysage, nous comprenons que nous sommes entourés de processus naturels en constante évolution où toute forme de vie dépend du milieu environnant avec lequel nous interagissons. Le paysage change lentement au fil du temps, et l'érosion des pierres est un phénomène crucial pour nourrir le sol. Lorsque l'eau circule dans le paysage, les minéraux des roches se dissolvent et se recomposent pour devenir de l’argile et nourrir les substrats nécessaires aux plantes, aux animaux et aux humains. Chaque élément de l’environnement participe à la transformation continue du paysage, en se dégradant et en étant absorbé pour former un autre corps. Chaque plante tire les minéraux qui la caractérisent du sol, et bien que la plupart des éléments soient présents dans toutes les plantes, leur proportion varie. Lorsque la végétation brûle et retourne au sol, on parle de minéralisation du sol, car les cendres qui restent font désormais partie du règne minéral.
En retournant à la source de notre alimentation, nous découvrons une culture culinaire profondément enracinée dans notre territoire et notre communauté, qui prend en compte l’ensemble du monde vivant. Comment pouvons-nous sortir de la vision mécaniste de notre corps pour retrouver notre place dans l’environnement en utilisant notre alimentation comme un moyen de le faire ? Comment pouvons-nous redécouvrir la capacité de la nourriture à être une médecine ? Où pouvons-nous trouver d’autres formes d’alimentation qui nourrissent, et guérissent à la fois ?
« Les nourritures terrestres » explore les synergies minérales présentes dans certains milieux naturels d’une île en utilisant la pratique des émaux de céramique. Les émaux sont créés à partir d’argile et de cendres végétales collectées sur place, qui sont ensuite soumises à une haute température pour fusionner les minéraux qu’elles contiennent et former l’émail sur la surface d’un grès.
Le projet consiste en une série de contenant en céramique, qui reflètent les nuances et les textures de fragments de paysages familiers. Ces objets sont conçus pour capturer la composition des substrats naturels, qui sont le témoin de l’altération lente du paysage géologique et qui sont souvent difficiles à observer à l’œil nu. Avec cette série d’objets simples, je souhaite évoquer ou inviter à reconnaître la vitalité des paysages dans lesquels nous vivons en éveillant nos sens.
Certains des contenants sont conçus pour être utilisés pour la cuisson sur le feu. Ils sont inspirés du fucone, un foyer traditionnel de l’île qui a été transformé pour permettre de superposer les contenants les uns sur les autres, avec de la fumée qui entre pour donner aux plats une saveur fumée. Sans la symbiose des senteurs qui enrobent la nature, les aliments seraient fades. Notre perception et notre appréciation des aliments sont influencées par ce que nous mangeons et par l’environnement dans lequel nous vivons. Mon projet est une invitation à contempler la nature comestible à travers les éléments naturels qui la composent et à privilégier les aliments locaux et naturels qui nous nourrissent à tous les niveaux.
Je suis retournée sur les pas de Pauline Avrillon, résidente de Fabbrica Design en 2017, pour collecter les argiles de l’ancienne carrière de Peri. En piochant dans les mêmes veines, j’ai remarqué un changement d’état déjà perceptible à travers les résultats différents obtenus à partir des échantillons de terres collectés cinq ans plus tard. C’était comme un retour au contenant même de cette recherche. La carrière de Peri est un exemple de ces paysages qui, par leur intérêt géologique, ont subi une autre forme d’altération par l’action de l’homme.
Malgré les plaies ouvertes de l’exploitation, le paysage de la carrière de Peri dégage une énergie paisible. La biodiversité y est florissante, avec la cohabitation d’un couple de bergers et de leurs chèvres, des abeilles, et d’une végétation qui subsiste sur ces flancs d’argile. Ce site soulève une question importante : que deviendront les paysages naturels qui sont des écrins de biodiversité nécessaires à d’autres formes de nourriture, au-delà de leur intérêt géologique ?
Elsa Molinard Pollini